Intro

Tracés... Figures, chemins, traces

jeudi 23 février 2012

Un vent de liberté

Un vent de liberté souffle cette semaine dans la presse française. Ai Weiwei est à la Une.

Le numéro spécial de Libération du mardi 21 février porte son titre en kanji rouges et Ai Weiwei occupe la place en costume noir, le regard fixé à l'objectif , suspendu, comme cette dizaine d'avions en papier, billets de 100 euros pliés qui s'envolent autour de lui : "La Chine pop", Ai Weiwei, Invité spécial.
Rien à voir avec la couverture de Télérama 3240, où Ai Weiwei est de profil, les cheveux rasés, une cicatrice à nu, profonde et irrégulière, l'arête du nez laissant pour partie son visage dans l'ombre. Un titre en deux temps : lettres blanches "L'artiste qui fait trembler la Chine", suivies en gros caractères rouges de son simple nom. Le fonds gris du portrait fait écho à la barbe partiellement blanche de l'artiste, le cou fort se fond dans le col de la veste rugueuse qu'il porte. On pense à sa détention, on imagine la prison, lieu séculaire et froid, on se rappelle son assignation à résidence depuis ; ses yeux sont tournés vers l'objectif. Deux couvertures (seulement disponibles en version papier!) pour un même message, peut-être : la peur apprivoisée, un vent de liberté.

Ai Weiwei je connais de nom, j'avoue sans plus. Ce mardi après-midi, je parcours le quotidien, jette un coup d'oeil aux titres au fil des pages, avant de commencer à lire les articles qui m'intéresseraient, réservant pour plus tard les cinq pages consacrées à l'artiste. Soudain, sur une page, à droite en haut, un premier encart, Ai Weiwei, une photo de son visage massif, cheveux et barbe ébouriffés, sourcils épais, parfaits arcs de cercle, ses joues gonflées à bloc, les yeux grand-ouverts, des reflets bleutés dans la lumière. A son côté, le tweet retranscrit, en bilingue. Au total, sept sont donnés à lire. Je les découvre dans le désordre, consulte des articles, y retourne. Enfin, je lis les pages consacrées à l'artiste. Il n'y a aucun intérêt à reprendre le contenu des articles par ailleurs très complets ; le titre du premier article suffit à lui-même : "Je suis un média chargé d'un message".
Nous sommes bien loin du starisme des pseudo-intellectuels ou artistes portés régulièrement par certains de nos média ; ici, l'artiste est homme et se bat pour la vie. Pour lui,
Les problèmes sociaux ne peuvent être exprimés qu'au travers du prisme de l'individu, de son éthique, de son point de vue. la société en soi n'est pas "problématique". Ce n'est que lorsqu'on l'analyse avec ses propres critères éthiques que les aspérités apparaissent. L'intellectuel et l'artiste que je suis ont, à cet égard, un rôle essentiel de révélateur social à jouer [...] Je ne suis plus vraiment moi mais un média chargé d'un message."

Lorsque Philippe Grangereau, journaliste correspondant à Pékin recueillant ses propos, lui demande de quel message il s'agit, la réponse d'Ai Weiwei est simple.
La liberté, la libération personnelle, le libre-échange de  l'information, l'expression individuelle.
On comprend mieux le choix de la Une "La Chine pop", Le Pop définit la tendance à l'anticonformisme généralisé pratiqué durant les années 70 (H. Obalk, A. Soral, A. PascheLes Mouvements de mode expliqués aux parents, 1984, p.18) (source Lexilogos). Définition quelque peu schématique peut-être inappropriée mais qui laisse malgré toute sa place à la liberté d'action de chacun. 

Un grand merci donc à Libération pour cet espace donné à Ai Weiwei dans ce numéro spécial qui permet l'expression et crée déjà l'évènement, avant même les expositions attendues :
"Il [l'évènement] surgit. Il ne vient pas  [...] il ne prévient pas, toujours il survient.[...] Il est brèche, faille, césure, ce qui s'ouvre sous vos pas ou qui vous tombe dessus."* 
Au travers Ai Weiwei ce mardi-là, la cadence s'est un temps arrêtée et cette cassure de rythme m'a rappelé comme la liberté est précieuse.

* Métissages, "Evènement", Laplantine, Nouss, Pauvert, 2001 (p. 251)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire